Le ton est donné: la cuisine de l’Alchémille, c’est d’abord de l’amour. Du produit, de la nature, du métier. Quelque chose qui semble évident, mais qui ne l’est plus forcément: nombreux sont ceux qui cédant à la facilité, dénaturent (sic) leur cuisine, en la privant de son âme.
Pas de ça ici: d’ailleurs, un clin d’œil aux origines trône au milieu de la salle… le billot de boucher du père et du grand-père avant lui, le cuisinier, qui rappelle que tout ça ne naît pas de nulle part. Transmission, filiation, ça me parle. L’occasion était trop belle pour ne pas aller y goûter, d’autant que le jeune chef (38 ans) vient de récolter sa première étoile.
Hasard rigolo, le jour avant, alors que nous écoutions France Bleu Alsace (cette radio est formidable, on peut l’écouter à n’importe quelle heure, ça parle de bouffe. Ou de chefs. Ou de bouffe. Ou de produits régionaux. Ou de bouffe) (Alsaciens, je vous aime), Jérôme Jaegle était mis en avant dans un portrait-interview: un avant-goût philosophique qui nous avait conforté dans l’envie de le découvrir. Combien d’étoilés proposent de menus 3 services à 24 € le midi? C’est en effet une caractéristique du restaurant: rester accessible en proposant des menus à prix sages.
Ici, pas de carte: un choix du chef, autour de 3, 5, 7 ou 9 assiettes. Tout juste a-t-on le « ton » du plat sous forme de croquis, histoire de saliver. *
Un mot sur la salle: si le bâtiment extérieurement n’a rien de folichon, la salle est aérée, avec – c’est à noter – des chaises ultra-confortables même si on fait plus d’un 36, et de belles tables en bois clair sans nappes. Simple et efficace.
Nous avons opté pour un cinq services. Première mise en bouche, un boudin aux abricots, à couper soi-même…Ce qui est plutôt cool, pour les gens qui ont peur du côté un peu « guindé » des étoilés: ça relaxe.
Toujours en mise en bouche, une tarte flambée revisitée, à avaler d’une bouchée.
Et le vin? Parce que la cuisine de l’Alchémille est très pure, sans excès de gras ou de beurre, elle appelle évidemment des vins comme elle, libres: vous l’avez compris, la carte comporte de très belles références natures, de toutes régions évidemment, et d’Alsace c’est bien normal. Le sommelier – dans l’esprit maison détendu et pas pète-sec, mais qui connaît ses vins sur le bout des doigts – conseille le six pieds sur terre du domaine Geschikt: bien lui en a pris. Gros coup de cœur pour ce blanc, assemblage de six cépages, sans soufre ajouté. Le nez est net, frais, et la bouche suit le même chemin du plaisir délicat, racé, avec une vraie belle acidité. Le vin est tendu juste ce qu’il faut, il soutient la mousseline de pommes de terre et avec le poisson très « végétal » , l’alliance fonctionne parfaitement.
Faisons un point enfants: on sait qu’ils ne sont pas toujours bienvenus partout (ai-je déjà raconté comment nous nous étions fait jeter d’un resto hype de saint-émilion car « ici on n’accepte pas les enfants madame »? ). On peut ergoter des heures sur le fait qu’un restaurant n’est pas un lieu pour eux: il se trouve que les miens adorent manger, que je les emmène le plus souvent possible, du bistro à l’étoilé, et que je pense que c’est ainsi qu’ils se formeront le goût, et apprendront à aimer la cuisine, et toute sa subtilité. Évidemment, ils ne perturbent pas les convives, ne hurlent pas et savent se tenir (oui oui, même la petiote). Mais dans nombre de restaurant, l’offre « plats enfants » est souvent minable. Nuggets, spaghetti, … Décevant pour eux. En général le grand suit le menu (il faut dire qu’à onze ans et demi, son appétit est plutôt bon), et nous prenons un plat à la carte pour la petite. Ici, on nous a proposé directement un « plat enfant » sans aucune grimace. Pour la petite, le chef a mitonné ceci:
Sérieusement, vous n’avez pas envie d’avoir trois ans? Et oui, la volaille était aussi juteuse qu’elle en a l’air.
L’heure de choisir un vin rouge a amené Binner: pourtant pas hyper fan du style de la maison en général, j’ai trouvé cette cuvée beaucoup plus « fruits » et moins austère que prévu. Avec suffisamment de tenue pour la viande de cannette.
Mon plat préféré? Le fromage!
Une merveille de légèreté, de douceur, tout en textures, avec ce fromage travaillé, rehaussé de poivre du Penjab. Le bargkass, ou barikass est une sorte de tome alsacienne: c’est une pâte pressée non cuite élaborée avec les restes de lait de munster. Il n’a pas d’appellation protégée: on en trouve du nature, ou de l’aromatisé au cumin, à l’ail des ours, … Délicieux. Un des seuls plats que Jérôme a proposé plusieurs fois, ses créations étant en général éphémères, car les clients l’adorent. Un plat « signature » peut-être?
Pour le dessert, un peu de tendresse avec ce grand cru Mambourg de chez Tempé: très équilibré, un sucre évidemment présent mais sans lourdeur.
Le pré-dessert nous est amené et annoncé comme une surprise. Il faut chercher « le ver de terre ».
Si je vous dis qu’il se compose de chocolat blanc, d’un sponge cake au persil, et d’épinards, vous suivez? C’est osé, mais pourquoi pas? L’avis à table était un peu partagé: certains – dont moi – étant décontenancés par les légumes, d’autres – les enfants surtout – ayant adoré, l’aspect ludique et très peu sucré, sans doute.
Pour la finale, un magnifique chocolat- meringue craquante- safran qui m’a presque réconciliée avec le chocolat, dites donc!
Après les cafés, il était déjà l’heure de s’en aller. Mais pas sans dire au-revoir au chef: à chaque départ, celui-ci sort de sa cuisine pour aller saluer les convives et recueillir leurs avis. Rejoint par sa femme Marie-Laure, c’est avec un sourire de là à là que Jérôme écoute nos impressions.
Et il nous parle de son métier, et de ses projets: produire au maximum ce dont il a besoin, ce qu’il faisait déjà en cultivant ses légumes avec Marie-Laure. Mais cette exigence est assez chronophage: un temps libéré grâce à l’embauche toute récente d’une personne dédiée au « potager » du restaurant. A défaut de pouvoir tout produire, Jérôme veut privilégier les productions et producteurs locaux.
Comme il le souligne » Il n’y a aucun sens pour moi à proposer ici des poissons de mer ». Ce que certains pourraient ne pas comprendre mais qui est parfaitement assumé. Le « terroir » alsacien est riche, et on peut tout à fait puiser dedans pour créer des plats sublimes (et pas forcément lourds, d’ailleurs).
Rester calme au niveau des prix, et installer une ambiance cool et détendue est aussi une volonté. Les jeunes gastronomes sont ainsi fortement encouragés à pousser la porte.
« C’est la clientèle de demain » confie Marie-Laure. Transmettre, faire découvrir, rester curieux, accessible: des thèmes qui me sont familiers. Et voici pourquoi la simplicité élégante de l’Alchémille vise juste.
Nourrir les corps, c’est facile. Nourrir l’esprit et laisser au cœur une trace, c’est déjà un autre challenge.
Un mec un peu poète a dit un jour « Il est grand temps de rallumer les étoiles ». En voici une qui brille, toute neuve et qu’il est urgent de découvrir.
Restaurant l’Alchémille
53 route de Lapoutroie – 68240 Kaysersberg Vignoble – France
T. +33 (0)3 89 276 641 – contact@lalchemille.fr
Menus à 48, 58 et 78 €.
Midi: 3 services à 24 €
* évidemment, en cas d’allergie ou de souci alimentaire quelconque, le chef adapte.
J’y suis passé il y a 1 an pour un « simple » lunch. Avec l’envie d’y retourner lors de notre prochain séjour en Alsace.
Quelle belle histoire au début de ton billet, la transmission de génération en génération du patrimoine culinaire familial ! Finalement, à chaque nouvelle naissance, c’est l’Alchémille qui redémarre ?
Les Clés d’argent ( 1 etoile) à Mont de Marsan, menu du midi à 25 eutos
Attends, la pinardothèque était en Alsace ??? Et on n’a même pas pu boire un verre ?!